Élections

© Cost. – DéontoloJ n°3 (janvier 2012)

Lors de sa réunion plénière de juillet 2023, le Conseil de déontologie journalistique a adopté deux textes de référence destinés à répondre aux questions déontologiques qui ne manqueront pas de se poser en vue du scrutin électoral de 2024.

D’une part, partant de sa jurisprudence en la matière, le CDJ a mis à jour sa Recommandation sur « La couverture des campagnes électorales dans les médias ». Il a ainsi ajouté aux cinq principes existants incombant aux rédactions – la responsabilité des choix éditoriaux et dispositifs d’information ; la prise en compte de la totalité des contributions au débat politique ; la liberté de choix pour toute invitation ; l’interdiction d’accès direct à l’expression liberticide ou antidémocratique ; l’évitement de tout(e) (suspicion de) conflit d’intérêts – un sixième point relatif à la diffusion de sondages la veille ou pendant le déroulement du scrutin. Le Conseil a également jugé utile d’ajouter, concernant la mise en œuvre des différents principes, un passage sur la question des publicités électorales qui appelle les rédactions à éviter l’instrumentalisation possible des rédactions par un parti, une liste ou un mouvement. Les diverses formes de publicités électorales, auxquelles les journalistes n’ont pas à participer, ne sont pas concernées par le règlement, sauf lorsqu’une confusion possible avec l’information est en jeu.

D’autre part, en parallèle à cette « nouvelle » Recommandation, le CDJ diffuse un document qui décortique le « cordon sanitaire » dans sa spécificité médiatique. Intitulée « La “clause de responsabilité sociale et démocratique” – 10 questions et un peu d’histoire pour comprendre le “cordon sanitaire médiatique” », la note passe en revue toutes les questions qui peuvent se poser sur cette pratique qui, à l’approche et dans le contexte de chaque campagne électorale, fait l’objet de multiples interprétations et questions à son propos. Le CDJ entendait ainsi se pencher sur sa signification ainsi que son origine et poser clairement le sens qu’elle revêt au regard des principes de déontologie journalistique. C’est en effet à dessein que la Recommandation « élections » n’a jamais usé de cette expression. D’une part pour affirmer sa spécificité déontologique, bien plus complexe que la seule interdiction d’accès qui y est communément associée, d’autre part pour éviter toute confusion avec le cordon sanitaire politique, dont les principes sont définis à l’usage des hommes et femmes politiques (et non des journalistes et des médias). Le CDJ lui préfère ainsi l’expression de « clause de responsabilité sociale et démocratique », bien plus proche des réalités journalistiques et médiatiques.


LA recommandation sur « la COUVERTURE DES CAMPAGNES ÉLECTORALES DANS LES MÉDIAS » (3ème édition – septembre 2023)

Cette Recommandation rappelle la valeur fondamentale de l’indépendance de l’information et du journalisme : dans un système démocratique garantissant la liberté de la presse, il est essentiel que tous les choix éditoriaux soient de la responsabilité des rédactions, lesquelles doivent pouvoir décider en toute autonomie et sans ingérence, en assumant cette responsabilité face au public.

Légèrement adaptée en 2023 pour prendre en compte la diffusion de sondages, la Recommandation s’articule autour d’un préambule et de six principes cumulatifs et indissociables. Elle concerne ainsi l’ensemble de l’information journalistique organisée et présentée par les rédactions en période de campagnes électorales, qu’il s’agisse de productions spécifiques ou de la couverture habituelle de l’actualité. Les diverses formes de publicités électorales, auxquelles les journalistes n’ont pas à participer, ne sont pas concernées, sauf lorsqu’une confusion possible avec l’information est en jeu. Le CDJ a ajouté à la présente publication une série de précisions à propos de la mise en œuvre des six principes de la Recommandation.

Si son usage principal concerne la couverture d’élections, cette Recommandation trouve à s’appliquer – en raison des principes déontologiques sur lesquels elle repose – bien plus largement dans l’information générale et politique en particulier.

Introduction

En 2011, deux ans après sa naissance, le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) était amené à formuler un avis sur les considérations déontologiques qui régissent les dispositifs d’information en période de campagne électorale dans les médias. Quelques campagnes, un Code de déontologie journalistique (2013) et plusieurs cas de jurisprudence plus tard, dans un contexte informationnel (médias alternatifs, fake news, réseaux sociaux, infobésité) et politique (montée des extrémismes) en pleine évolution, le CDJ a décidé de revoir et de compléter − en 2019 d’abord, en 2023 ensuite − cet avis, rebaptisé « Recommandation » par souci de clarté.

Renvoyant désormais au Code de déontologie journalistique, dont elle éclaire l’application dans le cadre spécifique des campagnes électorales, cette Recommandation rappelle la valeur fondamentale de l’indépendance de l’information et du journalisme : dans un système démocratique garantissant la liberté de la presse, il est essentiel que tous les choix éditoriaux soient de la responsabilité des rédactions, lesquelles doivent pouvoir décider en toute autonomie et sans ingérence, en assumant cette responsabilité face au public.

La Recommandation s’articule autour d’un préambule et de six principes cumulatifs et indissociables. Elle concerne ainsi l’ensemble de l’information journalistique organisée et présentée par les rédactions en période de campagnes électorales, qu’il s’agisse de productions spécifiques ou de la couverture habituelle de l’actualité. Les diverses formes de publicités électorales, auxquelles les journalistes n’ont pas à participer, ne sont pas concernées, sauf lorsqu’une confusion possible avec l’information est en jeu. Le CDJ a ajouté à la présente publication une série de précisions à propos de la mise en œuvre des six principes de la Recommandation.

Ce texte s’inscrit dans le champ de compétence du CDJ, à savoir la déontologie journalistique dans l’ensemble des médias, sans préjudice de la réglementation applicable aux seuls médias audiovisuels ou des règles spécifiques au service audiovisuel public. Si son usage principal concerne la couverture d’élections, cette Recommandation trouve à s’appliquer − en raison des principes déontologiques sur lesquels elle repose − bien plus largement dans l’information générale et politique en particulier. 

Préambule

Les principes de cette Recommandation sont fondés sur la Convention européenne des droits de l’Homme, qui rend contraignant pour les États membres du Conseil de l’Europe le respect de certains droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme [1].

[1] On consultera un aperçu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relatifs à la couverture des campagnes électorales à l’adresse https://rm.coe.int/factsheet-on-media-and-elections-july2018-pdf/16808c5ee0.

Principes généraux

1. La responsabilité des choix éditoriaux et des dispositifs d’information en période de campagne électorale incombe aux rédactions.

2. Les rédactions tiennent compte dans leur mission d’information de la totalité des contributions au débat politique, en ce compris celles des tendances émergentes ou réputées extrêmes, en fonction de leur pertinence journalistique.

3. Le choix d’inviter un candidat ou un représentant d’un parti, d’une liste ou d’un mouvement à prendre part à un débat ou à s’exprimer de toute autre manière dans un média relève de la seule responsabilité de la rédaction du média, dans le cadre de la ligne éditoriale de celui-ci et des valeurs dont cette ligne est garante. Être candidat à une élection n’implique aucun droit d’accès automatique à l’expression dans un média.

4. Les rédactions sont invitées à ne pas donner d’accès direct à l’expression des candidats, listes, partis, mouvements… qu’elles identifient comme liberticides ou antidémocratiques, ou dont elles constatent que leur programme ou leur discours entre en contradiction avec les lois réprimant le racisme, le sexisme, la discrimination ou le négationnisme, et à soumettre cette expression à un traitement journalistique.

Étant donné l’absence d’études scientifiques irréfutables ou de textes juridiques répertoriant des partis, listes ou mouvements comme liberticides ou antidémocratiques, il relève de la seule liberté éditoriale des rédactions de ne pas donner d’accès direct à l’expression à ceux qu’elles identifient comme tels, pour autant qu’elles étayent cette décision et se basent pour ce faire sur des faits avérés et des sources crédibles, dont, le cas échéant, des décisions de justice ou des avis d’experts ou d’organismes ayant pour objet la protection des droits humains.

Les rédactions veilleront à informer le public des raisons qui motivent toute exclusion.

En tout état de cause, cette décision étant inhérente à la responsabilité sociale des seules rédactions, elle ne peut être déléguée à des tiers, qu’il s’agisse de juges, d’experts, de mandataires politiques ou d’organismes ayant pour objet la protection des droits humains.

5. La diffusion de sondages la veille ou pendant le déroulement du scrutin est susceptible de peser sur les résultats de ce dernier. Les rédactions peuvent décider de diffuser des sondages ou des résultats partiels avant la fin d’un scrutin, après avoir mis en balance, en toute responsabilité, l’intérêt public de leur divulgation (pour contrer par exemple les tentatives de désinformation et de manipulation en matière de sondages qui peuvent œuvrer dans le même temps sur le web et les réseaux sociaux) et le souci de ne pas influencer l’issue du scrutin.

6. Les journalistes candidats aux élections doivent éviter tout conflit d’intérêts et toute suspicion de conflit d’intérêts entre leur activité journalistique et leur engagement politique, qui constitue un droit citoyen. Les responsables des médias sont invités à prendre les mesures de nature à éviter ces conflits d’intérêts.

Mise en œuvre

1. Rôle des instances internes

La Déclaration (internationale) des devoirs et des droits des journalistes (1972) prévoit que ceux-ci doivent refuser toute pression et n’accepter de directive rédactionnelle que des responsables de la rédaction (Devoir n° 10). Le Code de déontologie journalistique (2013) exige des journalistes qu’ils ne cèdent à aucune pression (art. 11). La mise en œuvre de ces textes implique que les choix rédactionnels ne soient opérés que par les rédactions.

Il est légitime que le législateur, répondant à un souci démocratique, fixe dans le champ strict de ses compétences des règles précises pour les périodes électorales, notamment dans le but d’assurer l’indépendance de l’information, l’équité entre les candidats, le libre choix de l’électeur ou la régularité d’un scrutin… Toutefois, des règles allant à l’encontre des valeurs démocratiques ou de l’indépendance rédactionnelle ne seraient pas acceptables.

Afin notamment de garantir leur opposabilité, il est également légitime que dans un média, les instances de décision internes (conseil d’administration, direction) souhaitent, dans les mêmes circonstances, contribuer à fixer de telles règles, dont l’objectif est et doit rester l’indépendance de l’information. Du point de vue de la déontologie journalistique, l’initiative de ces règles doit revenir aux rédactions, dans le respect de leur indépendance et de leur déontologie.

2. Les rédactions « tiennent compte »…

La déontologie journalistique prescrit la recherche de la vérité (art. 1 du Code de déontologie journalistique), exclut la suppression d’informations essentielles (art. 3) et réprouve la confusion entre information et propagande (art. 13). Appliquées aux campagnes électorales, ces règles proscrivent tout favoritisme ou toute partialité dans le traitement journalistique des candidats et des listes.

Pendant une campagne électorale, comme en tout temps, le traitement journalistique de l’actualité politique doit tenir compte de l’ensemble des faits pertinents pour une information correcte. Il relève de l’essence même du travail journalistique de chercher l’information la plus complète possible, de la vérifier, de la trier, de la mettre en perspective avant de la diffuser. L’axe qui doit guider ce travail est la pertinence pour le public, sans partialité, exclusion d’office ou droit automatique à la parole.

Il ne s’agit donc pas, dans l’esprit de cette Recommandation, de passer sous silence l’existence de candidats, partis, listes, mouvements ou opinions liberticides ou antidémocratiques, pas plus que l’existence ou l’émergence d’acteurs ou de groupes moins représentatifs ou réputés extrêmes. Il s’agit de leur appliquer le même traitement journalistique, défini ci-dessus, qu’à tous les autres éléments et acteurs de la vie politique.

La même pertinence s’applique à la forme des débats ou forums d’information, au choix des personnes invitées à y intervenir et à la manière dont les échanges y sont organisés. Toutes ces décisions relèvent de la liberté rédactionnelle, s’exerçant en toute responsabilité, comme l’indique explicitement l’art. 9 du Code de déontologie journalistique.

3. Quelle liberté pour les ennemis de la liberté ?

3.1. Le principe 4 de cette Recommandation invite les rédactions à éviter de donner un accès direct à l’expression des candidats, partis, listes, mouvements… dont elles considèrent le programme ou le discours comme liberticide, antidémocratique ou en contradiction avec les lois interdisant le racisme, le sexisme, la discrimination ou le négationnisme. Par « accès direct à l’expression », il faut entendre tout mode de diffusion qui, par sa nature, ne peut pas être soumis au contrôle de la rédaction en temps réel.

En journalisme audiovisuel, la diffusion en direct est fréquente et se prête à l’expression incontrôlable d’opinions illégales, liberticides ou antidémocratiques. En presse imprimée ou en ligne, un accès direct à l’expression peut prendre la forme de « cartes blanches », de tribunes libres, voire d’interviews. En outre, tous les médias peuvent diffuser des contenus sonores et/ou des vidéos sur leur site Web : le refus de l’expression en direct s’y applique.

Refuser l’expression directe de ces partis, listes, mouvements ou candidats n’empêche pas d’en faire état ni de leur consacrer des articles, des reportages ou des émissions en différé, où ces sources font l’objet d’un traitement journalistique.

Lorsque les rédactions donnent la parole à des intervenants dont elles peuvent légitimement supposer qu’ils appartiennent à une mouvance liberticide ou antidémocratique, elles veillent à en informer clairement le public. Le cas échéant, et si cette précision est utile à la bonne compréhension de l’information par le public, elles veillent également à l’informer des raisons qui sous-tendent le choix de ces interlocuteurs.

3.2. Par ailleurs, la distinction doit clairement être faite entre les opinions liberticides ou antidémocratiques et les opinions exprimées par des partis, listes ou mouvements démocratiques nouvellement apparus, ou absents ou peu représentés dans les assemblées élues sortantes. Pas question d’exclusion à l’égard de ces derniers, mais plutôt d’une participation décidée par chaque rédaction en fonction des sujets, du nombre de participants aux débats ou forums et de la pertinence de leur expression en termes d’information du public.

4. Une atteinte à la liberté d’expression ?

Par principe, la liberté d’expression est reconnue à tous (art. 10 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et art. 19 de la Constitution), quelles que soient les opinions exprimées. Comment justifier, dès lors, qu’un texte déontologique y fixe des limites ?

4.1. La liberté d’expression ne doit pas être confondue avec l’obligation, pour les médias, de diffuser toutes les opinions. Les rédactions ont seules la responsabilité d’ouvrir leurs colonnes, leur site ou leur antenne et doivent, dans ce cadre, respecter des règles déontologiques spécifiques à l’activité journalistique. Ces règles n’abolissent pas la liberté d’expression : celui qui n’a pas eu la parole dans un média reste libre de s’exprimer en dehors de celui-ci.

4.2. Ceux qui expriment certaines opinions se mettent eux-mêmes hors-jeu en transgressant des lois interdisant l’expression d’opinions racistes discriminatoires, négationnistes… D’autres utilisent les espaces d’expression libre pour tenir des propos qui sapent les fondements de la démocratie et de la liberté qui leur permettent pourtant de s’exprimer. Les journalistes et les médias n’ont pas à faciliter l’expression de ces opinions illégales, liberticides ou antidémocratiques.

4.3. La liberté d’expression n’est pas absolue et s’accompagne d’une responsabilité envers la société. Les limites peuvent être fixées par la loi qui s’impose à tous et, pour les activités journalistiques, par la déontologie.

5. Quels partis, listes, mouvements et candidats ?

Sont visés dans cette Recommandation des partis, listes, mouvements… dont le programme est connu ainsi que des personnes dont on connaît les opinions. Il peut arriver que des personnes extérieures à ces partis, listes ou mouvements liberticides ou antidémocratiques expriment des propos litigieux. Par définition, c’est imprévisible et il n’y a pas lieu d’assimiler ces dérapages à des programmes préétablis. Toutefois, la prudence impose de soumettre les propos tenus à cette occasion à un examen journalistique, en vue d’une décision sur une expression ultérieure de ces mêmes personnes.

À défaut d’études scientifiques irréfutables ou de textes juridiques qui identifient et répertorient les partis, listes ou mouvements non démocratiques et liberticides, chaque rédaction est amenée, en vertu de sa responsabilité éditoriale, à trancher en la matière en étayant sa décision et en se basant pour ce faire sur des faits avérés et des sources crédibles dont, le cas échéant, des décisions de justice et des avis d’experts ou d’institutions de référence comme Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme).

D’éventuelles divergences d’analyse, conduisant à des choix éditoriaux différents, sont dès lors possibles et admissibles. En effet, des sources différentes peuvent apporter des informations en sens divers et les experts consultés peuvent eux-mêmes être en désaccord sur l’interprétation du positionnement idéologique des partis, listes, mouvements ou candidats concernés. Chaque rédaction peut librement apprécier la crédibilité, le poids ou la pertinence de ces sources pour étayer son choix, qui ne sera pas nécessairement le même que celui d’une autre rédaction.

Si la décision est prise, en fonction de cette appréciation, de ne pas inviter une personne à s’exprimer par voie directe, la rédaction doit en avertir le public et lui en communiquer les raisons.

6. Objection de conscience des journalistes

Les journalistes ne peuvent être contraints d’agir contre leur conscience (Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, Droit n° 3). Il est légitime d’attendre d’eux qu’ils respectent les instructions de leur rédaction en chef et la ligne éditoriale de l’organe d’information auquel ils collaborent (Code de déontologie journalistique, art. 11), mais s’il s’agit de la diffusion d’opinions illégales, liberticides ou antidémocratiques, le droit à l’objection de conscience leur est reconnu et le fait de l’exercer ne peut entraîner de sanction.

7. Éviter l’instrumentalisation

Si les diverses formes de publicités électorales, auxquelles les journalistes n’ont pas à participer, ne sont pas concernées par cette Recommandation, le principe déontologique concernant l’interdiction de confusion entre publicité et information prévu à l’art. 13 du Code de déontologie et détaillé dans la Directive sur la distinction entre publicité et journalisme consacrée à ce sujet reste d’application.

Les rédactions doivent veiller à éviter toute instrumentalisation par un parti, une liste ou un mouvement par exemple dans le cadre de l’achat d’un espace publicitaire par un donneur d’ordre politique. Une attention particulière doit donc être prêtée à établir une distinction visible entre l’espace acheté et les contenus émanant de la rédaction.

Dans cette optique, le CDJ rappelle qu’il est recommandé aux médias, lorsque les contenus à teneur publicitaire présentent de fortes ressemblances avec les contenus journalistiques, de veiller, d’une part, à renforcer le cadre qui permet de souligner leur nature publicitaire et leur différence avec le contenu rédactionnel et, d’autre part, à consulter la rédaction en chef pour vérifier que les mesures prises empêchent bien toute confusion.


LA « CLAUSE DE RESPONSABILITÉ SOCIALE ET DÉMOCRATIQUE » – 10 questions et un peu d’histoire pour comprendre
le « cordon sanitaire médiatique »

La Recommandation sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, adoptée par le CDJ le 16 novembre 2011, modifiée le 16 janvier 2019 et le 7 juillet 2023, aborde sous plusieurs angles les questions déontologiques qui affleurent naturellement dans le cadre du traitement des sujets politiques et plus particulièrement des élections.

Un axe de cette Recommandation, souvent rattaché au « cordon sanitaire médiatique », mentionne, en en précisant les modalités d’application, que les rédactions sont invitées à ne pas donner d’accès direct à l’expression des candidats, listes, partis, mouvements… qu’elles identifient comme liberticides ou antidémocratiques, ou dont elles constatent que leur programme ou leur discours entre en contradiction avec les lois réprimant le racisme, le sexisme, la discrimination ou le négationnisme.

C’est pourtant à dessein que la Recommandation n’use pas de cette expression. D’une part pour affirmer sa spécificité déontologique, bien plus complexe que la seule interdiction d’accès qui y est communément associée, d’autre part pour éviter toute confusion avec le cordon sanitaire politique, dont les principes sont définis à l’usage des hommes et femmes politiques et non des journalistes et des médias.

Dès lors que l’expression « cordon sanitaire médiatique » fait florès à l’approche et dans le contexte de chaque campagne électorale – en ce compris lorsque celle-ci se déroule dans des pays voisins – et vu que les interprétations et questions à son propos ne manquent pas, il semblait utile de se pencher sur sa signification ainsi que son origine et de poser clairement le sens qu’elle revêt au regard des principes de déontologie journalistique.

Cet éclairage démontre, s’il le fallait encore, qu’il s’agit là pour les médias d’assumer la responsabilité sociale qui découle de leur travail d’information. Cette responsabilité sociale s’incarne certes dans l’ensemble des règles qui balisent ce dernier, mais trouve également à s’appliquer dans l’attention à porter aux répercussions prévisibles de la diffusion de l’information sur la société (voy. infra). On comprend ainsi tout l’intérêt à dépasser l’expression « cordon sanitaire » pour lui préférer celle de « clause de responsabilité sociale et démocratique », bien plus proche des réalités journalistiques et médiatiques.

I. 10 questions pour comprendre le « cordon sanitaire médiatique » et la « clause de responsabilité sociale et démocratique »


1. Cordon sanitaire médiatique vs cordon sanitaire politique ?

Il y a « cordon sanitaire » et « cordon sanitaire » ! L’un est médiatique, l’autre politique. Tandis que le cordon sanitaire médiatique s’applique aux acteurs du monde médiatique, le cordon sanitaire politique s’applique aux acteurs du monde politique.

Le cordon sanitaire médiatique se définit par l’engagement des rédactions à ne pas inviter les représentants de formations ou de mouvements antidémocratiques aux débats en direct qu’elles organisent.

Cet engagement est repris dans le quatrième principe général de la Recommandation du CDJ sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, qui mentionne l’engagement des rédactions à ne pas donner d’accès direct à l’expression de candidats, listes, partis, mouvements,… qu’elles identifient comme liberticides ou antidémocratiques, ou dont elles constatent que leur programme ou leur discours entre en contradiction avec les lois réprimant le racisme, le sexisme, la discrimination ou le négationnisme.

Le cordon sanitaire politique se définit comme le refus pour les partis politiques démocratiques belges de toute collaboration avec une formation ou un mouvement antidémocratique, ce qui signifie de facto pour ces derniers l’impossibilité d’accéder au pouvoir exécutif(1).

Ce cordon politique intègre une dimension médiatique qui consiste, pour les représentants des partis politiques démocratiques, à refuser de participer à tout événement (manifestations, activités, débats, rencontres, ouvrages collectifs, interviews croisées, etc.) auquel les représentants des partis ou mouvements antidémocratiques seraient associés(2).Ce volet médiatique est politique : il ne se confond pas avec le cordon sanitaire médiatique à proprement parler.

En conséquence, lorsque les médias et lorsque les politiques évoquent le « cordon sanitaire », ils parlent de notions, de pratiques, de mesures différentes.

Pour cette raison, il est préférable d’adopter, lorsque l’on se place sous l’angle du traitement de l’information, la formule « clause de responsabilité sociale et démocratique », qui prend en considération les principes déontologiques sur lesquels ce traitement repose et l’appréciation autrement plus complexe de sa mise en oeuvre en contexte.


1 B. BIARD, « Lutte contre l’extrême droite en Belgique. I. Moyens légaux et cordon sanitaire politique », Courrier hebdomadaire, C.R.I.S.P., 2021, n° 2522, 2523, p. 52, §2.
2 Voir Code de bonne conduite entre partis démocratiques à l’encontre des formations ou partis qui manifestement portent des idéologies ou des propositions susceptibles d’attenter aux principes démocratiques qui fondent notre système politique, signé par Philippe Busquin (PS), Philippe Maystadt (PSC), Louis Michel (Fédération PRL FDF MCC) et Isabelle Durant (Ecolo), 1er avril 1999, art. 11, 12 et 13, disponible sur
https://www.vocabulairepolitique.be/wp-content/uploads/Cordon_sanitaire_CH2522-2523_Annexe_6.pdf.

2. Une interdiction de parole ?

L’application du « cordon sanitaire médiatique » ne vise pas à exclure un courant politique de l’accès aux médias.

La Recommandation du CDJ le souligne d’ailleurs explicitement : il ne s’agit pas « de passer sous silence l’existence de candidats, partis, listes, mouvements ou opinions liberticides ou antidémocratiques, pas plus que l’existence ou l’émergence d’acteurs ou de groupes moins représentatifs ou réputés extrêmes », mais de « leur appliquer le même traitement journalistique (…) qu’à tous les autres éléments et acteurs de la vie politique »(3).

Selon sa définition, le « cordon sanitaire médiatique » entend ne pas laisser auxdits mouvements un accès aux débats en direct voire à des libres antennes, des formats audiovisuels dans lesquels le cadrage et la mise en perspective journalistiques sont a priori difficiles et ne permettent pas toujours de réagir promptement et adéquatement, conformément aux principes déontologiques – mais aussi légaux –, à des propos ou discours qui seraient liberticides, racistes, sexistes, discriminatoires ou négationnistes. La Recommandation du CDJ, qui parle plus largement d’« accès direct à l’expression », précise d’ailleurs qu’il faut entendre par là tout mode de diffusion qui, par sa nature, ne peut pas être soumis au contrôle de la rédaction en temps réel.

Hors accès direct à l’expression, les journalistes et les médias d’information peuvent donner la parole aux formations et mouvements antidémocratiques ou rendre compte de leur programme, de leurs idées, de leurs actions,… Il est en effet possible dans ce cas d’y appliquer un traitement journalistique ad hoc : recoupement, vérification, mise en perspective, distance,… Autant de principes déontologiques fondamentaux(4).

La Recommandation du CDJ rappelle indirectement ce que l’on entend par cette notion de « traitement journalistique » dans le cadre particulier de l’actualité politique. Elle note en effet que « le traitement journalistique de l’actualité politique doit tenir compte de l’ensemble des faits pertinents pour une information correcte », souligne qu’ « il relève de l’essence même du travail journalistique de chercher l’information la plus complète possible, de la vérifier, de la mettre en perspective avant de la diffuser », et précise que « l’axe qui doit guider ce travail est la pertinence pour le public, sans partialité, exclusion d’office ou droit automatique à la parole »(5).


3 Recommandation sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, (voy. note 1), partie « Mise en oeuvre », pt. 2 §3.
4 Idem, pt. 3, §3.1, al. 3.
5 Idem, pt. 2, §2.

3. Pour quels médias ?

Le « cordon sanitaire médiatique » a été conçu à l’origine par et pour les médias audiovisuels. Il a trouvé toutefois à s’appliquer plus largement.

Les notions mêmes de « direct » ou de « libre antenne » renvoient tant à la radio qu’à la télévision. À son origine (voy. infra), le « cordon sanitaire médiatique » concerne donc spécifiquement ces médias, même si d’autres médias francophones, respectueux des valeurs démocratiques, se sont peu à peu tous engagés en ce sens, indépendamment des supports utilisés.

La nature audiovisuelle du cordon a été réaffirmée en 1999 lorsque le Collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui réunit les acteurs du secteur, a adopté les « Recommandations relatives à l’information et à la publicité pour la période couvrant la campagne électorale du 13 mars au 13 juin 1999 »(6) en y intégrant une disposition « cordon sanitaire » qui repose sur les lois du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie(7) et du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimalisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale ou tout autre forme de génocide(8).

Ces recommandations ont été regroupées, dès 2003, dans un règlement qui a été revu régulièrement et ont, à la faveur d’une modification législative relative à la nature des textes adoptés par le Collège d’avis, été approuvées par le gouvernement de la Communauté française. Cette approbation leur a donné ainsi force obligatoire… pour les médias audiovisuels uniquement puisque le CSA est l’instance administrative qui veille au respect des lois propres à ce secteur.

Cela étant, dès 2011, le CDJ souligne, dans sa Recommandation, que « le refus du direct » touche aussi la presse écrite et les médias en ligne. Ce qui compte dans cette approche, c’est en effet le fait qu’ « il faut entendre [par « accès direct à l’expression »] tout mode de diffusion qui, par sa nature, ne peut être soumis au contrôle de la rédaction en temps réel »(9).

Autrement dit, pour les médias audiovisuels, cela recouvre les formats dits « directs » qui se prêtent à l’expression incontrôlable d’opinions illégales, liberticides ou antidémocratiques(10), tandis que pour la presse écrite – imprimée et en ligne –, cet accès direct peut prendre la forme de cartes blanches, tribunes libres ou interviews(11).

En toute logique, le refus de l’expression directe s’applique également aux sites Internet et réseaux sociaux des médias, via lesquels les médias d’information et les journalistes peuvent relayer des propos, contenus sonores et des vidéos(12) « directs ». La convergence des contenus et des moyens de diffusion étend de facto la responsabilité déontologique qui s’applique quel que soit le support.

Sous l’angle déontologique, tous les médias et tous les supports sont donc concernés.


6 Collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel, « Recommandations relatives à l’information et à la publicité pour la période couvrant la campagne électorale du 13 mars au 13 juin 1999 », 10 mars 1999, disponible sur
https://www.csa.be/wp-content/uploads/documents-csa/CAV_Recommandation_19990310_campagne_electorale.pdf
7 Loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, M.B., 8 août 1981.
8 Loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimalisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale ou tout autre forme de génocide, M.B., 30 mars 1995.
9 Recommandation sur la couverture des campagnes électorales dans les médias (voy. note 1), partie « Mise en œuvre », pt. 3 §3.1, al. 1.
10 Idem, al. 2.
11 Ibidem. On notera, par exemple concernant les interviews, la décision du CDJ dans le dossier 18-75 La Cible ASBL c. A. F. / DH.be & Libre.be, disponible sur https://www.lecdj.be/wp-content/uploads/CDJ-18-75-LaCible-asbl-c-A-F-DH-be-LaLibre-be-avis-7octobre2020.pdf.
12 Ibidem.

4. À qui refuser l’accès direct à l’expression ?

La Recommandation du CDJ précise que le refus d’accès direct à l’expression concerne « des candidats, listes, partis, mouvements… qu’elles [les rédactions] identifient comme liberticides ou antidémocratiques, ou dont elles constatent que leur programme ou leur discours entre en contradiction avec les lois réprimant le racisme, le sexisme, la discrimination ou le négationnisme (…) »(13).

Contrairement aux idées reçues, le « cordon sanitaire médiatique » ne vise donc pas tous les partis dits « extrémistes », même s’il trouve à s’appliquer à des listes, partis ou mouvements généralement qualifiés « d’extrême droite » dont l’analyse des programmes ou discours les fait entrer dans la définition (ils sont liberticides ou antidémocratiques ou contraires aux lois car incitant au racisme, au sexisme, à la discrimination, au négationnisme(14).

On notera encore que tout discours politique est susceptible de prendre des libertés avec la vérité et de relever de la propagande. Cela entraîne la nécessité d’un recadrage journalistique mais pas à proprement parler d’une application du « cordon sanitaire médiatique ». De fait, celui-ci concerne les discours politiques dont on peut raisonnablement présumer qu’ils auront une teneur liberticide, un a priori qui entraîne la limitation de l’expression directe.


13 Idem, partie « Principes généraux », pt. 4, §1.
14 Les lois belges en question sont notamment celles du 10 mai 2007 : la première interdit toute discrimination « fondée sur une prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique », ainsi que « sur la nationalité » ; la deuxième sanctionne les discriminations fondées sur « l’âge, l’orientation sexuelle, la conviction religieuse ou philosophique, ou un handicap » et la troisième sanctionne toute discrimination sur la base du sexe, de la grossesse, de l’accouchement ou de la maternité et du changement de sexe.

5. Qui décide et comment ?

Comment identifier lesdits partis et mouvements ? À défaut d’étude scientifique irréfutable ou de texte juridique identifiant ou répertoriant ceux-ci, comment faire ? Comme le précise la Recommandation du CDJ, ne pas donner cet accès direct à l’expression relève de la seule liberté éditoriale des rédactions :  « chaque rédaction est amenée, en vertu de sa responsabilité éditoriale, à trancher en la matière en étayant sa décision et en se basant pour ce faire sur des faits avérés et des sources crédibles dont, le cas échéant, des décisions de justice et des avis d’experts ou d’institutions de référence comme Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme) »(15).

La motivation de cette décision est indispensable, tout comme l’est l’information au public : « si la décision est prise, en fonction de cette appréciation, de ne pas inviter une personne à s’exprimer par voie directe, la rédaction doit en avertir le public et lui en communiquer les raisons »(16).

Des divergences d’analyse sont possibles, qui conduisent à des choix éditoriaux différents. En effet, des sources différentes peuvent apporter des informations en sens divers et les experts consultés peuvent eux-mêmes être en désaccord sur l’interprétation du positionnement idéologique des partis, listes, mouvements ou candidats concernés. Chaque rédaction peut librement apprécier la crédibilité, le poids ou la pertinence de ces sources pour étayer son choix, qui ne sera pas nécessairement le même que celui d’une autre rédaction(17).

Il est important néanmoins de souligner, à l’instar de la Recommandation, que ne sont concernés que des mouvements et formations dont le programme est connu, ainsi que des personnes dont on connaît les opinions.

Qu’en est-il des personnes extérieures à ces partis, listes ou mouvements liberticides ou antidémocratiques qui expriment des propos litigieux ? On est là dans des situations imprévisibles et il n’y a pas lieu d’assimiler ces dérapages à des programmes préétablis. Toutefois, la prudence impose de soumettre les propos tenus à cette occasion à un examen journalistique, en vue d’une décision sur une expression ultérieure de ces mêmes personnes(18).

La Recommandation prévoit également que les rédactions distinguent les opinions liberticides ou antidémocratiques et les opinions exprimées par des partis, listes ou mouvements démocratiques nouvellement apparus, ou absents ou peu représentés dans les assemblées élues sortantes. Pour ces derniers, il n’est pas question d’exclusion mais plutôt d’une participation décidée par chaque rédaction en fonction des sujets, du nombre de participants aux débats ou forums et de la pertinence de leur expression en termes d’information du public(19).


15 Recommandation sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, (voy. note 1), partie « Mise en œuvre », pt. 5, §2.
16 Idem, partie « Principes généraux », pt. 4, §3.
17 Idem, partie « Mise en œuvre », pt. 5, §3.
18 Idem, §2.
19 Idem, pt. 3.2.

6. Une atteinte à la liberté d’expression ?

La liberté d’expression(20), protégée par l’article 10 §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 19 de la Constitution, est en principe reconnue à tous, quelles que soient les opinions exprimées. Mais alors, comment justifier que l’on puisse y fixer des limites dans les médias d’information ?

La première explication est que cette liberté ne peut être confondue avec l’obligation, pour les médias, de diffuser toutes les opinions. De fait, dans l’exercice de leur fonction, les rédactions sont seules responsables de l’ouverture de leurs colonnes, de leur antenne, ou de leur site et, ce faisant, doivent respecter les règles de déontologie journalistique. Par ailleurs, ces limitations n’empêchent pas l’exercice de la liberté d’expression puisque les mouvements et formations antidémocratiques, et leurs représentants, ont la possibilité de s’exprimer en dehors des médias.

La deuxième raison réside dans la mise « hors-jeu » spontanée desdits mouvements et formations due à la transgression des lois. S’il existe des espaces d’expression libres pour exprimer des propos qui sapent les fondements de la démocratie et de la liberté, les journalistes et les médias d’information, qui exercent leur responsabilité, n’ont pas à faciliter l’expression de ce type d’opinions.

La troisième et dernière justification se base sur le caractère non absolu de la liberté d’expression, qui s’accompagne d’une responsabilité envers la société. Les limites peuvent être fixées par la loi qui s’impose à tous et, pour les activités journalistiques, par la déontologie.

C’est une des raisons pour lesquelles, plutôt que de faire usage de l’expression « cordon sanitaire médiatique », il est préférable de parler de « clause de responsabilité sociale et démocratique ».


20 Idem, pt. 4.

7. Quand l’appliquer ?

Le moment le plus évident pendant lequel s’applique le « cordon sanitaire médiatique » est la période de campagne électorale. Cela étant, en raison des principes déontologiques sur lesquels elle repose, la Recommandation du CDJ s’applique à l’ensemble des contenus d’information, qu’ils soient liés ou non à une actualité électorale. Elle précise d’ailleurs trouver à s’appliquer plus largement, dans l’information générale et politique en particulier(21). L’engagement des rédactions à ne pas donner d’accès direct à l’expression de candidats, listes, partis, mouvements… qu’elles identifient comme liberticides ou antidémocratiques s’entend donc aussi hors période de campagne électorale, compte tenu de leur liberté rédactionnelle et de la responsabilité sociale qui en découle.

Cette perspective déontologique, plus riche, plus dense, invite de nouveau à préférer les termes « clause de responsabilité sociale et démocratique » à ceux de « cordon sanitaire médiatique ».


21 On peut ainsi mentionner, à cet égard, la décision 18-75 La Cible ASBL c. A. F. / DH.be & Libre.be (voy. note 12) du CDJ, qui concernait un article en ligne qui rendait compte d’une manifestation des gilets jaunes à Bruxelles, qui ne présentait aucun lien avec l’actualité électorale, ou encore la décision 22-12 M.-L. Eeckman & R. Roland c. M. K. / RTBF (JT) qui concernait une séquence du JT relative au départ volontaire d’un Belge – au profil particulier – pour combattre aux côtés des soldats ukrainiens, disponible sur https://www.lecdj.be/wp-content/uploads/CDJ-22-12-M-L-Eeckman-R-Roland-c-M-Klaric-RTBF-JT-avis-12octobre2022.pdf .

8. Sur la base de quels principes déontologiques ?

Certes, les engagements réitérés des médias quant à l’application du « cordon sanitaire médiatique » témoignent avant tout de leur volonté de défendre la démocratie. Cela étant, comme on l’a déjà mentionné, le « cordon sanitaire médiatique » fait aussi écho à plusieurs principes de déontologie journalistique :

  • a. La partie du Code de déontologie relative au respect des droits des personnes est particulièrement pertinente en la matière, singulièrement sous l’angle de deux dispositions : l’article 26 réprouve en effet la diffusion d’informations attentatoires à la dignité humaine et l’article 28, quant à lui, prohibe les stéréotypes, généralisations, exagérations et stigmatisations et interdit toute incitation, même indirecte, à la discrimination, au racisme et à la xénophobie. Il va sans dire que les propos et idées disséminés par les partis et mouvements extrémistes ne respectent ordinairement pas ces principes.
  • b. La déontologie journalistique prescrit la recherche de la vérité (article 1 du Code) et exclut la suppression d’informations essentielles (article 3), deux dispositions qui sont au fondement du cordon quand il y a, à la fois, non-respect de la vérité ET expression d’opinions illégales (incitation à la discrimination, racisme, xénophobie, négationnisme), liberticides ou antidémocratiques.
  • c. La responsabilité sociale des médias (préambule du Code) intervient également en ce qu’elle recouvre les principes susmentionnés : le premier volet de cette responsabilité renvoie à l’ensemble des règles qui encadrent la fonction de journaliste et porte donc sur la déontologie journalistique en général ; le deuxième concerne l’attention que doivent porter les journalistes aux éventuelles répercussions de l’information diffusée dans la société(22). Le « cordon sanitaire médiatique » renvoie donc bien à cette responsabilité sociale puisque, d’une part, une des règles découlant de ce principe est que les opinions relayées par les médias ne peuvent entrer « en conflit avec le respect des droits fondamentaux de la personne humaine »(23). D’autre part, s’ils sont relayés par les médias sans mise en perspective, il existe un risque que les discours tenus par ces formations et mouvements séduisent nombre de personnes qui ne connaîtraient pas leurs antécédents historiques ou leurs visées liberticides et antidémocratiques24.

22 M. Hanot, « Responsabilité déontologique, responsabilité sociale », janvier 2019, disponible sur https://www.lecdj.be/fr/jurisprudence/analyses/.
23 A.G.J.P.B., A.B.E.J. et Febelmag, Code des principes de journalisme, élaboré en 1981 et reconnu jusqu’en 2013 par les éditeurs et les journalistes de la presse imprimée belge, francophones et flamands ; J.-J. Jespers, « Note sur le cordon sanitaire », reçue le 9 mai 2022, p. 1, §1.
24 J.-J. Jespers, (voy. note 24) p. 5, §3.

9. Le cordon sanitaire : une déclinaison territoriale ?

Alors que le cordon sanitaire politique est appliqué aussi bien par les partis politiques démocratiques en Belgique néerlandophone que francophone (il n’existe pas à proprement parler de cordon sanitaire politique du côté germanophone), il n’en va pas de même du « cordon sanitaire médiatique ».

En Belgique néerlandophone, les partis politiques appliquent un cordon sanitaire politique, qui est mis en place dès 1989 en raison des percées électorales du Vlaams Blok (aujourd’hui Vlaams Belang) lors des élections communales du 9 octobre 1988. Il est régulièrement remis en cause aussi bien par des partis politiques que par la société civile(25).

De son côté, si le « cordon sanitaire médiatique » a également fait l’objet d’un engagement initial des médias néerlandophones, ceux-ci y dérogent néanmoins à partir de 2004, notamment à la suite du scrutin européen, régional et communautaire lors duquel le Vlaams Blok a enregistré un score électoral élevé(26). Il ne s’applique désormais plus, même si une certaine modération est observée par les rédactions.

Quant à la Belgique germanophone, selon l’analyse de B. Biard parue dans la revue du CRISP en 2021(27), aucun cordon sanitaire, médiatique ou politique, n’y est mis en œuvre, ce qui peut s’expliquer par l’absence de parti politique d’extrême droite dans cette Communauté.

On notera toutefois que, les journalistes et médias germanophones étant parties prenantes de l’autorégulation journalistique et tombant donc sous la compétence du CDJ, le principe du « cordon sanitaire médiatique » ou plus justement de « la clause de responsabilité sociale et démocratique » leur est applicable, autant via les dispositions de son Code que via sa Recommandation sur la couverture des campagnes électorales par les médias.

Par ailleurs, on notera qu’en matière de régulation, un décret germanophone du 1er mars 2021(28) interdit aux médias de fournir des services « qui incitent à la discrimination, à la haine, ou à la violence en raison [de la nationalité, d’une prétendue race, de la couleur de peau, de l’ascendance, de l’origine nationale ou ethnique, de l’âge, de l’orientation sexuelle, de la conviction religieuse ou philosophique, d’un handicap, du sexe et des critères apparentés tels que la grossesse, la naissance et la maternité, de la parenté ou de la transsexualité, de l’état civil, de la naissance, de la fortune de la conviction politique, de la conviction syndicale, de la langue, de l’état de santé actuel ou futur, d’une caractéristique physique ou génétique ou de l’origine sociale], ou en raison de l’appartenance à une minorité nationale »(29). Il s’applique à l’audiovisuel.


25 B. Biard, (voy. note 2), pp. 53-76.
26 B. Biard, « Lutte contre l’extrême droite en Belgique. II. Cordon sanitaire médiatique, société civile et services de renseignement », Courrier hebdomadaire, C.R.I.S.P., 2021, n° 2522, 2523, p. 17 §2 ; B. De Cleen & P. Van Aelst, « Belgium : the rise and fall of populism research », in T. Aalberg, F. Esser, C. Reinemann, J. Strömback, C. de Vreese (dir.), Populist political communication in Europe, New York, Routledge, 2017, p.103.
27 B. Biard, (voy. note 2), p. 81 ; B. Biard, (voy. note 27), p. 18. 
28 Décret de la Communauté germanophone du 1er mars 2022 relatif aux services de médias et aux représentations cinématographiques, M.B., 12 avril 2021, art. 7.
29 B. Biard, (voy. note 27), p. 18.

10. Le cordon sanitaire médiatique : quid du CSA (de la régulation) ?

Le « cordon sanitaire médiatique » est à l’origine une pratique d’autorégulation que les médias se sont fixée à la suite du « dimanche noir » de 1991, et dont la RTBF était à l’initiative (voy. infra).

C’est en 1999 que le CSA s’empare de la question via l’adoption par le Collège d’avis de « Recommandations relatives à l’information et à la publicité pour la période couvrant la campagne électorale du 13 mars au 13 juin 1999 »(30). S’agissant de recommandations, ce document n’est à l’origine pas contraignant. Dès lors qu’il émane du CSA, il ne vise que les médias audiovisuels. Le texte précise alors notamment que « (…) les organismes de radiodiffusion s’abstiendront de donner l’accès à l’antenne, lors d’émissions, tribunes ou débats électoraux, à des représentants de partis, de mouvements ou tendances politiques prônant habituellement des doctrines ou messages constitutifs d’outrages aux convictions d’autrui, incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne, d’un groupe ou d’une communauté en raison de leur sexe, de leur race, de leur couleur, de leur ascendance ou origine nationale ou ethnique ou des doctrines ou messages contenant des éléments tendant à la négation, la [minimalisation], la justification, l’approbation du génocide commis par le régime national-socialis[t]e allemand pendant la Seconde Guerre mondiale ou tout[e] autre forme de génocide »(31).

Ces recommandations suivent des évolutions progressives, fonction des scrutins électoraux. Elles sont finalement regroupées au sein de règlements, qui deviennent obligatoires et revêtent un statut légal à partir du 22 novembre 2011, date à laquelle le gouvernement de la Communauté française en approuve une première version. On observera que, créé en 2009, le CDJ a, pour sa part, adopté le 16 novembre 2011 la première version de sa Recommandation sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, qui revêtait alors la forme d’un avis à portée générale du même nom(32).

La dernière version du règlement du CSA(33), qui date du 23 janvier 2018 et est approuvée par le Gouvernement de la Communauté française par un arrêté du 31 janvier de la même année(34), voit son champ d’application élargi. En effet, son article 14 vise désormais, de manière plus générale, tous les partis et mouvements antidémocratiques et dans les faits, il s’applique indépendamment de la période électorale(35).

Tout comme le fait la Recommandation du CDJ de 2019 (et le faisait déjà son Avis général de 2011), le règlement du CSA invite, en son article 15, à prendre conseil auprès d’organismes et instances de référence pour catégoriser les éventuels partis ou candidats : « les éditeurs de services sont invités à consulter le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, la Commission nationale permanente du Pacte culturel ou tout autre organe ou institution idoine afin de vérifier la qualification des partis et des candidats visés à l’article 14 ». On notera cependant qu’il ne renvoie pas à la seule responsabilité éditoriale des médias en la matière.

Ce règlement du CSA est le premier texte accordant une existence légale au « cordon sanitaire médiatique » – en en fondant le caractère obligatoire pour les médias du secteur audiovisuel. On peut également citer un texte de recommandations du Collège d’autorisation et de contrôle du CSA du 9 mars 2005(36) qui vise les éditeurs de services de radiodiffusion et est relatif aux manifestations d’expression de discrimination ou de haine. Ce texte – non contraignant – a pour objectif d’attirer l’attention des médias sur leurs responsabilités, en tant qu’ils « sont susceptibles de contribuer à la naissance ou à l’amplification de formes de discrimination ou de haine basées sur l’intolérance tout comme ils constituent, eu égard à leur impact sur l’opinion publique, un moyen important de lutte contre celle-ci »(37). On notera que ce texte, adopté à un moment où le CDJ n’existait pas encore, entrait sur des questions de déontologie journalistique et de liberté rédactionnelle, ce qui explique sans doute son caractère non contraignant et purement d’avis.  

Ces textes confortent ainsi le principe du cordon mis préalablement en place par les médias à une époque où le CDJ n’existait pas encore. Cela étant, contrairement à l’Avis du CDJ de 2011 et la Recommandation de l’instance qui s’en est suivie, qui visent, pour leur part, l’ensemble des médias – audiovisuels et écrits – et tous les supports de diffusion – télévision, radio, presse imprimée, en ligne, réseaux sociaux, etc. –, les textes du CSA, comme mentionné précédemment, s’adressent uniquement aux médias audiovisuels(38).

On notera par ailleurs que la rédaction du Règlement du CSA démontre une réelle volonté de tenir compte du « Décret du 30 avril 2009 réglant les conditions de reconnaissance et de subventionnement d’une instance d’autorégulation de la déontologie journalistique »(39) et de la Recommandation du CDJ sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, en ce qu’ils sont expressément cités dans deux de ses considérants. Ainsi, conformément audit décret, en période électorale comme en tout temps, le CSA se doit de solliciter immédiatement le CDJ lorsque des plaintes relatives à l’information diffusée portent à la fois sur une disposition législative de la Communauté française en matière de radiodiffusion (aujourd’hui décret coordonné sur les services de médias audiovisuels ou arrêté du gouvernement) et une disposition déontologique en matière d’information(40).


30 Collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel, (voy. note 7).
31 Ibidem.
32 Avis sur la couverture des campagnes électorales dans les médias, adopté par le Conseil de déontologie journalistique le 16 novembre 2011, modifié le 16 janvier 2019.
33 Collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel, « Règlement relatif aux programmes de radio et de télévision en période électorale », Avis n° 1/2018, 23 janvier 2018, disponible sur https://www.csa.be/wp-content/uploads/documents-csa/Reglement_Elections_2018.pdf.
34 Arrêté du Gouvernement de la Communauté française portant approbation du règlement du Collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel relatif aux programmes de radio et de télévision en période électorale, adopté le 31 janvier 2018, disponible sur https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/44965_000.pdf.
35 B. Biard, (voy. note 27), p. 12, §1.
36 Collège d’autorisation et de contrôle du CSA, « Recommandations aux éditeurs de services de radiodiffusion relatives aux manifestations d’expression de discrimination ou de haine », 9 mars 2005, disponible sur https://www.csa.be/wp-content/uploads/documents-csa/CAC_Recommandation_20050309_haine.pdf
37 Idem, p. 1 §2.; B. Biard, (voy. note 27), p. 13, §2.
38 A.A.D.J., « Note du Conseil d’administration de l’A.A.D.J. sur l’application de l’art. 4 du décret du 30 avril 2009 », adoptée lors des réunions des 26 juin et 10 septembre 2019 du C.A., p. 3, disponible sur https://www.lecdj.be/wp-content/uploads/19-09-26-AADJ-CA-note-interpretation-art.-4-decret-30-avril-2009.pdf.
39 Décret de la Communauté française du 30 avril 2009 réglant les conditions de reconnaissance et de subventionnement d’une instance d’autorégulation de la déontologie journalistique, M.B., 10 septembre 2009.
40 Idem, art. 4, §2.


II. Le cordon sanitaire politique et médiatique : un peu d’histoire

C’est à partir de 1991 que le « cordon sanitaire médiatique » se met en place en Belgique. De fait, avant cette année, les partis d’extrême droite ne constituent pas des forces politiques significatives, mais ne sont pas pour autant inexistants(41). Ce sont les élections législatives du 24 novembre 1991, connues sous le nom de « dimanche noir », qui engendrent un véritable tournant en la matière. En effet, lors de ces élections et de manière inattendue,  un parti politique d’extrême droite, le Vlaams Blok, collecte massivement les voix des électeurs, fait son entrée au Parlement, devient la première force politique à Anvers(42)et rejoint le conseil d’administration de l’actuelle VRT.

À la suite de cet évènement, la RTBF prend la décision de refuser l’accès aux débats et aux émissions en direct aux représentants de partis qui n’acceptent ou ne respectent pas les principes de la démocratie consacrés par la Convention européenne des droits humains(43). Cette décision est prise en application, d’une part, du Pacte culturel(44), d’autre part, du décret statutaire du média(45). Également dotées d’une mission de service public, les télévisions locales francophones (aujourd’hui médias de proximité) s’alignent sur cette position. La mise en place de ce « cordon sanitaire médiatique » a évidemment suscité la colère de certains partis politiques auxquels l’accès à l’antenne était refusé. La RTBF a ainsi été poursuivie en justice à plusieurs reprises par des représentants de ces partis (FNB, PP, FN), poursuites qui se sont soldées dans la majorité des cas – à l’exception d’une condamnation en 1994(46) – par un échec(47). On notera que, dès 1999, dans son arrêt du 9 juin(48), le Conseil d’Etat reconnaît  la légitimité de l’application du « cordon sanitaire médiatique » par la RTBF(49). Le « cordon sanitaire médiatique » sera alors adopté, progressivement, par l’ensemble des médias francophones, qu’ils relèvent du secteur audiovisuel ou de la presse écrite.

Le cordon sanitaire politique, quant à lui, se met en place du côté néerlandophone dès 1989(50). Du côté francophone, ce n’est que le 8 mai 1993 que quatre partis politiques démocratiques (PS, PSC, PRL et FDF) décident de signer une « Charte de la démocratie »(51), au regard de la montée des extrêmes concernant la thématique migratoire et de la difficulté qu’ils éprouvent à récupérer le thème à leur profit(52). Par cette Charte, les partis s’engagent notamment « à ne pas laisser contaminer [leurs] pratiques, [leurs] programmes et [leurs] discours politiques par des idéologies anti-démocratiques » et à refuser de « s’associer dans une coalition politique, aux formations ou partis qui manifestement portent des idéologies ou des propositions susceptibles d’attenter aux principes démocratiques qui fondent [le] système politique » et à refuser également, « Dans les assemblées où ces formations ou partis seraient présents, (…) de mettre en place des exécutifs s’appuyant sur une majorité relative ».

En 1999, en outre, les représentants des partis PS, PSC, de la Fédération PRL FDF MCC et Ecolo signent un « Code de bonne conduite entre partis démocratiques à l’encontre des formations ou partis qui manifestement portent des idéologies ou des propositions susceptibles d’attenter aux principes démocratiques qui fondent notre système politique »(53) qui intègre de nouveaux principes au cordon sanitaire politique, tels que celui de ne pas témoigner de sympathie ou de familiarité à des élus issus de formations « susceptibles d’attenter aux principes démocratiques qui fondent notre système politique », ou celui de « Refuser de participer à toute manifestation, événement, activité auxquels ces partis ou formations ou leurs mandataires seraient officiellement associés, en ce compris toute manifestation visant à confronter les opinions des candidats (débat, forum, rencontre, etc.) pendant la campagne à laquelle un de ces mandataires participerait » ou de prendre part à « un débat télévisuel ou radiophonique, un ouvrage collectif ou une interview croisée »(54). On notera que le PTB a refusé de signer ce texte qui complète la « Charte pour la démocratie » et qui instaure donc le volet « médiatique » du cordon sanitaire politique. Il considère en effet qu’étant un parti national, il ne peut s’engager à ne pas débattre avec l’extrême droite néerlandophone (autrement dit, principalement, le Vlaams Belang) où le « cordon sanitaire médiatique » n’existe pas(55).

Chez les partis néerlandophones, le CVP, le VLD, le SP, Agalev et la VU s’engagent en mai 2000, avant les élections communales et provinciales, via la « Charter voor Democratie », à maintenir le cordon sanitaire autour du Vlaams Blok(56).

La Charte pour la démocratie (francophone) a été renouvelée à plusieurs reprises – en 1998, 2002 et 2022 – et signée par d’autres partis (Ecolo, MR, etc.), ce qui permet aux acteurs du monde politique d’affirmer ou de réaffirmer leur engagement à respecter le cordon sanitaire politique. Le dernier renouvellement de la Charte du 8 mai 2022 a eu lieu en raison des vives polémiques suscitées par la participation du président du MR, Georges-Louis Bouchez, à un débat télévisé sur la chaîne flamande VTM avec le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, comme l’explique Nadia Geerts dans Les analyses du Centre Jean Gol relatives aux cordons sanitaires belges(57). Le président du MR s’est donc vu reprocher le fait d’avoir brisé le cordon sanitaire(58).


41 B. Biard, (voy. note 27), p. 6, pt. 3.1.1, §1.
42 Article non signé, « Il y a trente ans, le ‘‘dimanche noir’’ marquait l’émergence du Vlaams Blok », 7sur7, 24 novembre 2021, disponible sur https://www.7sur7.be/belgique/il-y-a-trente-ans-le-dimanche-noir-marquait-l-emergence-du-vlaams-blok~a5ff2948/ ; V. Delcorps, « ‘‘Dimanche noir’’ : il y a 30 ans émergeait le Vlaams Blok », Le Vif, 24 novembre 2021, disponible sur https://www.levif.be/belgique/dimanche-noir-il-y-a-30-ans-emergeait-le-vlaams-blok/.
43 B. Biard, (voy. note 27), p. 7, §1.
44 Ibidem ; Loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques, art. 13 §1 : « Les autorités publiques doivent associer les utilisateurs et toutes les tendances culturelles (…) et pour autant qu’ils acceptent les principes et les règles de la démocratie et s’y conforment ».
45 Décret de la Communauté culturelle française du 12 décembre 1977 portant statut de la Radio-télévision belge de la Communauté culturelle française, art. 25 : « Les émissions d’informations de [la RTBF] sont faites dans un esprit de rigoureuse objectivité et sans aucune censure préalable du gouvernement. Il est interdit à [la RTBF] de procéder à des émissions contraires aux lois ou à l’intérêt général, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou constituant un outrage aux convictions d’autrui ou une offense à l’égard d’un Etat étranger » ; B. Biard, (voy. note 27), p. 7, §1.
46 Cette action en justice est la première portée à l’encontre de la RTBF par le FN, en raison d’un refus d’accès à ses tribunes électorales le 24 mai 1994, justifié sur la base des tracts du parti et de coupures de presse. Le tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé, a considéré dans son jugement du 2 juin 1994 – confirmé en appel par la Cour d’appel de Bruxelles – que les éléments avancés à l’appui du refus du média ne constituaient pas une preuve qui permettent d’attester le caractère antidémocratique du parti (source : B. Biard, (voy. note 27), p. 7, §2).
47 B. Biard, (voy. note 27), pp. 7-10.
48 Conseil d’Etat, section administration, arrêt n° 80.787 du 9 juin 1999, disponible sur http://www.raadvst-consetat.be/Arrets/80000/700/80787.pdf#xml=http://www.raadvst-consetat.be/apps/dtsearch/getpdf.asp?DocId=50201&Index=c%3a%5csoftware%5cdtsearch%5cindex%5carrets%5ffr%5c&HitCount=1&hits=16c9+&16629232023811.
49 B. Biard, (voy. note 27), p. 8, §2.
50 Voy. supra.
51 Charte de la démocratie, signée par Philippe Busquin (PS), Gérard Deprez (PSC), Jean Gol (PRL) et Georges Clerfayt (FDF), 8 mai 1993, dont la version du 8 mai 2002 est disponible sur https://www.vocabulairepolitique.be/wp-content/uploads/Cordon_sanitaire_CH2522-2523_Annexe_7.pdf.
52 B. Biard, (voy. note 2), p. 77, pt. 2.2, §1.
53 Code de bonne conduite entre partis démocratiques à l’encontre des formations ou partis qui manifestement portent des idéologies ou des propositions susceptibles d’attenter aux principes démocratiques qui fondent notre système politique (voy. note 3).
54 N. Geerts, « Cordon sanitaire : débattre ou combattre ? », Les analyses du Centre Jean Gol, 2022, pp. 6-7.
55 Idem, p. 15.
56 Idem, pp. 6-7.
57 Idem, p. 7.
58 B. Demonty, « Bouchez brise le cordon sanitaire contre l’extrême droite pour un coup de pub », Le Soir, 21 avril 2022, disponible sur https://www.lesoir.be/437510/article/2022-04-21/bouchez-brise-le-cordon-sanitaire-contre-lextreme-droite-pour-un-coup-de-pub.


III. Le cordon sanitaire : une spécificité belgo-belge ?

Le cordon sanitaire politique a été ou est encore appliqué dans certains pays européens. On peut noter à cet égard l’exemple de l’Allemagne où une alliance avec un parti d’extrême droite est encore taboue, si ce n’est au niveau local où certains partis sont tentés de s’allier avec l’AfD (« Alternative pour l’Allemagne »)(59), parti qui initialement défendait la monnaie unique, et s’est ensuite opposé à l’accueil des réfugiés lors de la crise migratoire de 2015-2016, aux masques et vaccins durant la pandémie de coronavirus et aux sanctions imposées contre la Russie et toute aide à l’Ukraine depuis le début du conflit russo-ukrainien(60). C’était également le cas de la Suède jusqu’aux élections législatives du 11 septembre 2022 où le principal parti conservateur a fait bloc avec la droite radicale, incarnée dans le parti des Démocrates de Suède, né d’un parti ouvertement néo-nazi, afin d’accéder au pouvoir(61).

Cela étant, l’existence conjointe des deux cordons sanitaires – politique et médiatique –, telle qu’appliquée en Belgique francophone, est unique(62). Le débat sur la pertinence du « cordon sanitaire médiatique » n’est cependant pas clos malgré la faible présence de partis ou mouvements antidémocratiques ou liberticides dans cette partie du pays, d’aucuns estimant notamment que, pour combattre les propos extrémistes, il faut passer par le débat et leur déconstruction. La réponse qui est donnée à cette objection est que débattre avec les partis qui relaient de tels propos leur donne une légitimité(63), ce qui représente un risque très grand vis-à-vis de la réception de ce type de discours auprès du public. Singulièrement en audiovisuel, il est avancé que les formats des débats se prêtent mal à cette déconstruction et favorisent au contraire l’expression de slogans, d’idées simplistes.

D’autres encore considèrent que le « cordon sanitaire médiatique » est désuet au vu de l’existence des réseaux sociaux, qui permettent à ces mouvements et formations liberticides et antidémocratiques de propager leurs idées à grande échelle. Léonie de Jonge, spécialiste de la droite populiste radicale et assistante professeure à l’Université de Groningue aux Pays-Bas, répond à cette critique dans un entretien accordé au journal Le Soir : « On voit en effet que les réseaux sociaux sont utilisés par ce type de partis pour contourner le cordon sanitaire et s’adresser directement aux citoyens. Mais les médias traditionnels ont quelque chose que les réseaux sociaux n’ont pas : ils légitiment. Donner une place dans un débat, c’est reconnaître la légitimité et ça, seuls les médias traditionnels peuvent le faire. Beaucoup de journalistes sous-estiment l’importance de leur rôle, et on surestime, selon moi, celui des réseaux sociaux »(64).

La Recommandation du CDJ ne dit pas autre chose, lorsqu’elle évoque la question « Une atteinte à la liberté d’expression ? » : « La liberté d’expression n’est pas absolue et s’accompagne d’une responsabilité envers la société. Les limites peuvent être fixées par la loi qui s’impose à tous et, pour les activités journalistiques, par la déontologie ».

D’autres critiques existent et continueront d’exister. Néanmoins, si cette pratique est controversée, elle est pleinement assumée par les acteurs du monde médiatique, qui ont fait de la défense de la démocratie leur priorité. Au-delà de la notion même de cordon sanitaire, les libertés et les principes déontologiques en jeu appellent dans leur chef l’exercice conscient et volontaire de leur « responsabilité sociale et démocratique ».


59 V. Lamquin, « ‘‘Le cordon sanitaire francophone est unique en Europe’’ », Le Soir, 22 avril 2022, disponible sur https://www.lesoir.be/437779/article/2022-04-22/le-cordon-sanitaire-francophone-est-unique-en-europe.
60 Th. Wieder, « Allemagne : l’AfD, le parti d’extrême droite né il y a 10 ans, aspire désormais à gouverner », Le Monde, 8 février 2023, disponible sur https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/08/allemagne-l-afd-le-parti-d-extreme-droite-ne-il-y-a-dix-ans-aspire-desormais-a-gouverner_6161072_3210.html.
61 Article de la rédaction, « Suède : le piège de l’alliance avec l’extrême droite », Le Monde, 16 septembre 2022, disponible sur https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/16/suede-le-piege-de-l-alliance-avec-l-extreme-droite_6141896_3232.html.
62 V. Lamquin (voy. note 60).
63 Ibidem.
64 Ibidem.

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